Les aventures de Yorik au TRIBUNAL


Toute l'affaire que je vais ici vous conter intégralement se déroula à São Paulo, état de São
Paulo, Brésil, entre septembre et octobre de l'année 2006. La coutume, à São Paulo, veut que lorsque l'on quitte un emploi que l'on a depuis plus d'un an, l'on passe devant un tribunal de la Justice du Travail, afin de sceller, devant le Juge, le pacte qui certifie que chacun a exécuté jusqu'au dernier alinéa de sa part du contrat, et que passé ce moment plus personne ne pourra réclamer qu'il n'a eu son dû.


Comme il s'agissait d'une procédure standard de l'entreprise où j'étais jusqu'alors employé, j'ai acquiescé sans réclamer lorsque l'on m'a fait part de la nécessité de m'acquitter de cette formalité. On m'a donc désigné, d'office, un avocat, connu de l'entreprise, dont, je n'aurais pas à m'inquiéter, tous les honoraires seraient pris à charge par l'entreprise, je n'aurais donc qu'à comparaître, et n'aurais pas un Real à débourser.


Je pris donc rendez-vous avec l'avocat, et, le jour convenu, me rendis en son cabinet situé au diable vauvert. Le maître des lieux m'accueillit chaleureusement et me fit descendre en son office, son antre en réalité, car son cabinet était profondément enfoui au sous-sol de son domicile. L'humidité suintait des murs de chaux et l'odeur de soufre était entêtante. L'on me fit asseoir au milieu des meubles de bois jaunatre de style années 80. Le maitre contourna la table principale et entreprit de déplacer les nombreuses piles de papier jaunis de poussière et d'humidité qui créaient un mur entre lui et moi. Au bout d'un certain temps, il arriva à dégager une fenêtre suffisante pour que la communication passe correctement.

Malheureusement l'opération lui fit égarer mon dossier qu'il avait, me jura-t-il, placé judicieusement sur la même table afin de l'étudier préalablement.


De grandes capacités mathématiques associées à un sens extrême de l'équilibre furent nécessaires à l'homme de loi pour arriver à faire apparaitre mon dossier sans fermer la fenêtre. Le moment suivant il se plongeait intensément dans ma biographie et élaborait déja les grandes lignes de notre Stratégie de Défense.


- Voila. J'ai déja remarqué de nombreuses failles dans votre dossier, dit-il. Quelle erreur vous avez faite de vous lancer là-dedans sans un bon avocat... Regardez, là, et là par exemple, si vous étiez resté un mois de plus, vous gagniez beaucoup plus d'argent.

- Plus d'argent? demandai-je. Vous voulez parler du chômage?


- Exactement.


- Mais, selon les lois du Brésil, si je quitte un emploi volontairement, cela ne veut-il pas dire que je renonce à mes allocations de chômage?


- Hum euh... et bien... oui, on pourrait dira cela comme ça...


Il se plongea, fort à propos, plus en avant dans l'étude de mon cas.


- Ca y est! Nous les tenons! Se releva-t-il, victorieux.


- On les tiens par les couilles! Hurla-t-il ensuite.


- Comment cela? Répondis-je.


- Regardez vous-même: Vous avez travaillé jusqu'à la fin du mois, correct? Jusqu'au vendredi?


- Oui, oui, bien sur, jusqu'au vendredi 1er.


- Exactement! Il n'est indiqué ici qu'un salaire de 30 jours! Vous avez été bien baisé!


- Vous savez, dis-je en étudiant la feuille, sur un an, un jour de différence ce n'est pas beaucoup, je leur fais cadeau, allez... Mais...d'ailleurs... là en bas de la page, la voilà, le jour qui manque.


- Euh... c'est ma foi vrai, admit-il.


Après avoir parcouru le reste des papiers qui composaient mon dossier, il déclara que tout était en ordre.


- Excusez-moi un instant, je vais aller appeler ma greffière pour consigner tout ceci.


Il monta les escaliers vers les étages supérieurs et redescendit bientôt accompagné de son employée, ma greffière, l'introduit-il, laquelle s'installa devant un ordinateur dont le boitier, horizontal, était pourvu d'un lecteur de disquettes plates, format 5 pouces ¼, un modèle retiré officiellement du commerce en 1992. Le bruit que fit le disque dur, assisté du ventilateur, pour ouvrir un document .doc d'une demi-page A4 témoigne témoigna du vénérable effort que cette opération arracha à l'ancêtre.


Le maitre se pencha sur l'épaule de sa greffière pour superviser le travail. Malgré ma discrétion, je captai son chuchotement: Le déjeuner sera bientôt prêt, chérie?


Il relit ensuite les documents crachés par l'imprimante matricielle, non sans déplorer, avant de me les tendre pour signature, la mauvaise qualité de l'impression.


- Mademoiselle Sonia, combien de fois ne vous ai-je dit de changer ces cartouches d'impression!


- Enfin, nous sommes prêt. Maintenant que je me charge de votre défense, vous pouvez dormir tranquille, me dit-il. Il ne peut plus rien vous arriver maintenant.


Nous nous mimes d'accord sur la suite des opérations, il prendrait rendez-vous pour une audience au Tribunal et m'informerait de la date choisie.


Un mois plus tard, m'inquiétant, je lui téléphonai et apprit qu'il était en vacances.


Deux mois plus tard, je lui téléphonai de nouveau et il m'annonça que la date venait d'être fixée et qu'il se préparait justement à m'appeler pour me l'apprendre. Nous prîmes rendez-vous, le jour de l'audience, devant le Tribunal du Travail, à 12H30 précises.


Le jour dit, j'arrivai à 12H30 précises dans le hall des pas perdus du Tribunal et attendis mon avocat.


A 13H25, je me saisis de mon téléphone portable et me préparai à abreuver l'individu d'insultes quand il me tapa sur l'épaule.


- Alors, prêt? Me dit-il en guise de bienvenue. Il avait revêtu son plus beau costume bleu marine et arborait fièrement en boutonnière le sigle de l'Ordre des Avocats du Brésil. Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer. La partie adverse n'est pas encore arrivée, mais montons déjà à la salle d'audience. Je vous ferai un briefing rapide.


- J'espère que notre retard n'aura pas de conséquences fâcheuses, me confia-t-il dans l'ascenceur, car en principe, l'heure de notre audience serait déja passée...


La moutarde, dont le niveau était déja élevé, explosa mes parois nasales.


- Quoi??? demandai-je, glacial.


- Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.


Un peu plus tard, nous étions assis dans la salle d'attente de la salle d'audience 64, bloc B, neuvième étage. La salle d'audience 64 était pourvue d'une fenêtre par laquelle on pouvait voir à l'intérieur et surveiller que les juges et les jugés ne se passent pas d'argent sous la table. La partie adverse, constituée d'un représentant de mon ex-entreprise et de son avocat, ami de longue date du mien, était sur ces entrefaits arrivée. Les deux avocats nous demandèrent nos cartes d'identités, chacun de son client respectif, et se présentèrent au guichet pour demander l'ouverture de notre cas. Dans un bel unisson, chacun présenta la carte d'identité de son client avec la sienne au-dessus.


Lorsqu'ils revinrent dans la salle d'attente, l'ambience était à la préparation de guerre. Les deux hommes d'action s'équipaient pour le combat. Mon avocat me fit signer le papier par lequel je déclarai avoir reçu tout ce à quoi j'avais droit.


- Je vais vous briefer rapidement, déclara-t-il. Avez-vous déjà affronté une audience?


- Non.


- Bien. Avant toute chose, restez bien calme, ne vous énervez pas. Ok?


- Ok.


- La juge va vous poser quelques questions. Elle va vouloir savoir certaines choses.


- Ah?


- Elle va être intriguée par votre nom. Vous êtes étranger. Elle va vouloir vous tester.


- Me tester?


- Oui. Savoir si vous comprenez le portuguais. Vous comprenez le portuguais?


- On dirait que oui.


- Ah, très bien. Elle va également vous demander si vous connaissez les lois travaillistes brésiliennes. Vous connaissez les lois travaillistes brésiliennes?


- Les principes de base, oui.


- Ah, excellent. Dans ce cas, lorsqu'elle vous posera la question, vous répondrez ceci: « Les principes de base, oui ». Vous avez compris?


- Oui.


- Bien. une dernière chose: Je ne puis avoir aucun lien avec votre entreprise, notre partie adverse. Aussi, lorsqu'elle vous demandera comment vous avez trouvé votre avocat, c'est-à-dire moi, il ne faudra pas lui dire que c'est par l'entreprise, vu? Vous n'avez pas un ami, qui pourrait m'avoir recommandé à vous?


- Oui je... mon ami Gustavo par exemple.


- Parfait! Alors, quand elle vous posera la question, vous direz ceci: « Mon ami Gustavo m'a recommandé cet avocat ». C'est bien compris?


- Ca devrait aller.


- Parfait. Tenez-vous prêt.


Les deux hommes de loi s'inspectèrent ensuite mutuellement. « Cravate. » dit l'un à l'autre, montrant la pointe de la cravate légèrement trop basse par rapport à la ceinture. Celui-ci rectifia immédiatement la mise. « Téléphone. » dit-il au premier. « Il est déjà en mode silencieux » répondit-il Ils s'échangèrent ensuite un regard ressemblant à celui des marines américains prêts à débarquer: « Rock 'n Roll! »


Une heure plus tard, l'audience précédente battait toujours son plein. La salle d'attente était maintenant remplie d'autres avocats, chacun s'épiant et regardant par la fenêtre qui était le juge. « T'as pas de chance mon vieux, celle-la c'est une belle salope » était le genre de commentaire le plus répandu entre les collègues. Nos deux avocats tentaient par tous les moyens de nous distraire, moi et le représentant de l'entreprise.


- Alors, quel club supportez-vous? Vraiment? Ah, ah, ah, vous alors, les palmeirenses. Vous êtes sûr que vous ne voulez pas un verre d'eau? un café? non?


Une demi-heure plus tard, ils résolvèrent intenter une action.


- Nous allons entrer dans la salle d'audience, pour nous faire voir par la juge et lui rappeler que nous sommes là.


Les deux compèrent firent ensuite comme il fut dit, entrèrent et s'asseyèrent sur deux chaises dans le fond et suivirent attentivement les débats, hissant de temps à autre le cou pour se faire remarquer. Une autre heure passa. L'envoyé de l'entreprise et moi étions dans un état de prostration proche du coma. Ils sortirent enfin, avec de bonnes nouvelles.


- Nous sommes sûrs qu'elle nous a vus! Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.


Comme la séance n'avait pas l'air de s'achever, ils nous mîment au parfum:


- Banque. Vous savez comment c'est... sale affaire. Dirent-ils, le ton bas.


Ils résolvèrent alors tenter le plan d'urgence. Lorsqu'une des secrétaires de la salle 64, qui passait et repassait régulièrement, passa près de nous, ils se levèrent d'un seul homme. « Bonjour, chère madame, bonjour! », le sourire le plus beau aux lèvres. « Comment vont les enfants? Tout va bien, oui? Ah, quelle bonheur.  Vous souvenez-vous de nous? Pouvez-vous... » Ils ne purent continuer leur conversation car la secrétaire, qui ne s'était pas arrêtée, était entrée dans son bureau. Ils nous regardèrent l'air de dire « coriace, mais nous n'avons pas dit notre dernier mot .» Sur ce, après avoir frappé à la porte, ils entrèrent.


Ils ressortirent quelques temps plus tard.


- Voilà, tout est arrangé. Notre audience va commencer tout de suite.


Après une demi-heure, nous vîmes que les occupants dela salle 64 commencèrent à se lever. Les avocats se frottaient les mains, faisaient craquer leurs doigts et poussaient quelques soufflements d'échauffement. Un haut parleur annonça « Audience suivante, salle 64: ». Ils levèrent le doigt à l'oreille. « Cas 2841- Souza contre Rodrigues ». Leur sourire se figea. « Mais... » s'affolèrent-ils. Ils se précipitèrent dans la salle de la secrétaire.


Un peu plus tard ils ressortirent suants et fébriles. « Vite! » nous crièrent-ils. « Les cartes! ». Nous nous mîmes à courrir dans le corridor qui séparait la salle d'attente de la porte d'où ils venaient.


À ce moment la porte de la secrétaire s'ouvrit, et la juge en sortit, la face rouge, les nerfs à vif, et les cheveux en bataille. Elle avait un bic à la main. Elle se dirigea droit vers nous, et nos avocats se précipitèrent à sa rencontre, avec nos cartes d'identité, chacune présentée avec la carte de l'avocat correspondant placée au-dessus. Elle les négligea et leur arracha le papier que j'avais signé plus tot. Elle lut « Y...euh, Yorik, Roger, Phil...? »


- Ici, Ici!!! crièrent les avocats, me poussant devant la juge.


- Vous, là, vous êtes d'accord avec ce qui est écrit ici-dedans? me demanda-t-elle.


- Oui, je...


Elle ne me laissa pas le temps de répondre, signa le papier nerveusement et repartit en courant vers la salle. Les avocats pleuraient de soulagement. Ils se donnaient des tapes de la main, comme le font les joueurs de football américain.


Le représentant de l'entreprise ouvrit sa serviette.


- Bon, puisque tout ce cirque est terminé, je...


Il en sortit un chèque qui représentait ce que l'entreprise me devait encore, et me le tendit.


- Hola, hola! dirent les avocats.


L'avocat de l'entreprise prit alors le chèque des mains de l'envoyé, le passa à son collègue, qui me le remit.


Ils nous rendirent ensuite nos cartes d'identité, et nous nous serrâmes les mains. « Non, ne nous remerciez pas, c'est tout naturel » me dit mon avocat, me tendant sa carte de visite. « Bonne chance, mon jeune ami, et si un jour vous vous trouviez dans de mauvais draps, vous pouvez dormir tranquille, nous serons là. »


Je quittai le tribunal l'esprit apaisé, sachant que la justice serait là, armée de ses plus efficaces représentants, chaque fois que j'en aurais le besoin.