Derrière les lignes ennemies

 

Par Yorik van Havre

 

 

Enfin un sujet intéressant pas vrai?

Que se passait-il, pendant ces heures chaudes de combat intense, là, du côté adverse, dans les tranchées putrides de l'Ennemi? Quelle atmosphère planait au-dessus des visages enfiévrés? Oui, j'ai souffert pour vous ramener ce reportage brûlant.

 

Pour commencer il faut tenter d'imaginer les calomnies insensées et ininterrompues dont je fus victime, cela depuis plus d'une semaine avant le début du match fatidique. Et l'on me faisait le geste du doigt qui imite un couteau ouvrant la gorge, et l'on me couvrait de papiers jaunes et verts dans une parodie de goudron et de plumes, moultes humiliations auxquelles je ne pouvais que répondre que par des provocations sans cesse plus audacieuses. C'est dans ces moments houleux que le Doute s'installa en mon esprit. L'équipe belge, fort peu vaillante encore, allait-elle pouvoir endurer la dure épreuve sans devoir une fois de plus passer le bonnet d'âne?

Chaque jour qui passait me donnait plus encore l'envie d'en finir, oui, d'en finir avec cette incertitude.

Mais le temps passa inexorablement et ce jour qui devait être le dernier se leva, et, dès l'aube, ce fût l'adrénaline qui contrôlait les nerfs. Le coup d'envoi fut sonné à 8h30, heure de Brasília. Dès le début, la tension fut insupportable. Il était clair que nous n'étions pas l'adversaire espéré. Après quelques minutes, la rage débordait des coeurs. Ils avaient étés bernés. Ce match qui devait n'être qu'une formalité menaçait de tourner au cauchemar. Le Brésil allait rentrer à la maison prématurément. Les regards noirs que l'on m'envoyait en disaient long sur l'analyse sans équivoque que les spectateurs présents portaient sur le match. La belgique dominait, jouait magistralement, supérieurement, avec une organisation qui aujourd'hui encore me laisse sans voix. En face d'elle, un pauvre Brésil tentait désesperément d'envoyer un de ses buteurs favoris franchir les défenses belges. La mi-temps sonna dans un climat de catastrophe.

 

Cela fait maintenant 5 jours que j'écris ce mail, et chaque fois quelque chose vient interrompre mon travail. Mais cette fois, j'espère bien pouvoir mener à bien ce récit, que dis-je, ce témoignage, afin que les générations présentes puissent, au pied de l'écran géant de la Grand'Place, une dernière fois, entonner un vibrant "allez les diables rouges".

La seconde mi-temps vient de commencer. Plus un bruit ne filtre parmi les spectateurs présents. L'air se fait rare. Les cendriers ploient sous la charge de mégots. Quelques canettes de Skol, vides, gisent, sans être remplacées par les stocks immenses qui emplissent le frigo. Le climat est à la catastrophe. Les regards bas en disent long. Ils ont compris. Il y a peu, très peu de chances pour le Brésil de passer l'épreuve terrible.

Malheureusement, les fils du destin allaient s'inverser quelques instants plus tard, et le cours de la partie s'acheminer lentement vers cette fin qu'aujourd'hui nous connaissons tous. Les fenêtres s'ouvrirent. L'air entra. Ils avaient réussi à introduire leur buteur et délivrèrent le coup mortel. Enfin! C'était manifestement ce que tout le monde attendait. La tension s'échappa des corps en un spasme bref. La salle chantait tandis que la Belgique, blessée, tentait d'oublier, de remonter... Maintenant le soulagement affluait comme des larmes. On m'embrassa comme le fit Bob dans Fight Club. Je crus percevoir dans les yeux embués une esquisse de remerciement muet. Le Brésil ne pouvait pas, non, ne pouvait pas perdre... L'écran restait cependant le point focal de l'attention. Mais la bataille avait déja mué. La morsure brésilienne saignait abondament. Ce fut dans un silence respectueux que se déroulèrent les dernières minutes, l'assemblée souffrant avec moi de la déroute belge. Le second coup au but, qui était de plus en plus inéluctable, fut salué par quelques vivas. Mais planait déja un remords certain dans la pièce. Que la mise à mort soit rapide.

 

Enfin arriva le terme de l'affrontement. Les spectateurs se levèrent un par un, étirèrent les muscles encore tétanisés par les premières heures. On s'embrassa une fois encore, et déjà on se préparait à ramasser les détritus. La fête prévue n'aurait pas lieu, chacun ayant encore en tête les sanglots poussés quelques instants plus tôt. Je recus de vibrantes poignées de main. Personne n'oublierait ce qui s'était passé aujourd'hui. On contemplait les joueurs échanger la moitié de leur équipement. Chacun aurait voulu recevoir aussi un maillot de la sélection belge.

 

Les heures et les jours qui suivèrent, jusqu'au moment où j'écris ces lignes, furent marquées par le respect. Aujourd'hui encore, la veille du match de demi-finale, les regards se font profonds lorsqu'ils se dirigent vers moi. Jamais, plus jamais, Belgique ne serait synonyme de ce que l'on nomme par ici "brincadeira"...

Une plaisanterie.

 

FIN

 

Retour à l’index